Charon

Elle était devenue putain par résignation
Et très sage philosophe en cette triste dérive
Pour les bien honnêtes gens une abomination
Mais la vérole l’expédia sur d’autres rives

  Là, Charon lui lance, infernal croque-mort :
«Avant d’embarquer, il te faut remplir ma bourse ;
Pour traverser ce marais, rejoindre les morts
Donne-moi déjà mon obole pour la course !»

  «Hé, je n’ai plus la moindre pièce : les loueurs d’entrailles,
Les guérisseurs, les charlatans m’ont dépouillée de tout…»
«Alors tant pis pour toi, tel est ton destin : que tu ailles
Te lamenter sur ces côtes brumeuses, voilà tout !»

  «Non, reste ! écoute et tu seras satisfait ;
Vrai, je ne suis qu’une pute et ma main est vide
Mais le sale Bidochard* qui me tarifait
Jamais ne m’arracha une pierre limpide

  Un diamant si étincelant d’une eau sept* fois pure
Dont les facettes luisent d’une clarté… souveraine
Car elles ont cristallisé dedans la pire ordure
Ces quelques riens de pureté qui nous rassérènent

  Larme minérale aux pouvoirs ensorceleurs
Sa dureté affranchit de tous les tourments…
Cet indomptable* ignoré des bas receleurs
C’est mon âme, plus mûre que tous diamants

  Ah, je vivais dans la perversion, moi la maudite ;
Tous me bafouaient, tous m’humiliaient mais sous l’écorce,
Là, se forgeait une maturité pour eux proscrite
Et qui rayonne à tout jamais d’une invincible force

  Seul l’exclu d’entre deux Mondes, le Transgresseur
Peut la saisir et peut la garder, rutilante…»

  Depuis les Ombres s’écartent du Passeur :
Ainsi révélée, sa barque* les épouvante…

 

  Février 1989, Janvier 1990. Mars 1994.
Lyon, Saint Nizier.

 

 

* Bidochard : trafiquant de femmes dans la traite des blanches, mot d’argot 
très énergiquement péjoratif.

  * : Le chiffre 7 symbolise une perfection dynamique, l’achèvement du monde 
et la plénitude des temps, entre autres…

* : Jeu sur l’étymologie : diamant vient du grec « adamas », indomptable, 
un diamant ne pouvant être rayé –dompté- que par un autre diamant.

 * : La barque de Charon symbolise les malheurs des hommes. 

 

 Merci Dominique pour ce beau poèmes